D’un témoignage de sr Nazarena Morando (1904–1984)
Dès le début, Maestra Tecla était convaincue que l’autorité est fondamentalement un service. Elle savait se «faire toute à tous» (cf. 1Co 9,22). Elle aidait les sœurs dans leurs occupations: de la cuisine à la couture, de l’imprimerie à la reliure; elle donnait un coup de main pour préparer les boîtes de livres, pour mettre de l’ordre dans la maison, pour soigner les malades.
Un souvenir: alors qu’elle était absente, un contretemps m’avait affligée. Juste des bricoles, toutefois, le soir même de son retour, j’eus l’audace de la retenir pour lui raconter ma peine… Tout en parlant, je me rendis compte qu’elle devait être très fatiguée et qu’il était plus sage de renvoyer au lendemain mon défoulement. J’allais interrompre mon discours et m’excuser, mais elle, nonobstant sa fatigue et toutes ses préoccupations, m’obligea à continuer, à lui partager tout ce qui m’avait tant peinée; elle ajouta qu’elle était la mère, qu’elle se devait donc d’être toujours prête et disponible sans trop se soucier d’elle-même. Je dus obéir…
«Une de mes plus grandes peines, me confia-t-elle un jour, c’est d’être parfois dans l’obligation de demander aux sœurs des obéissances qui leur imposent des sacrifices. Pourtant, il faut savoir dépasser cette difficulté si on veut faire la volonté de Dieu.»
J’aurais plusieurs anecdotes à partager, j’en raconterai uniquement quelques-unes qui révèlent la charité de Maestra Tecla envers ses filles. Parfois une sœur partait d’urgence pour le décès de sa mère (ou de son père)… Lorsqu’elle revenait, elle se présentait à Maestra Tecla pour la saluer et partager avec elle la douleur qui l’accablait. Maestra Tecla l’accueillait, l’invitait à s’asseoir à ses côté et à parler : «Raconte, raconte-moi quelques choses de ta maman…» Lorsqu’on est accablé par la peine, quel soulagement que de pouvoir en parler à une personne qui nous aime !
Maestra Tecla écoutait attentivement la sœur, puis, émue, l’encourageait : «Sois en paix ! Ta mère est au Ciel, elle te voit, elle t’accompagne et prie pour toi! Et maintenant, je serai moi-même ta mère ; ainsi, devant une difficulté, ou lorsque tu as besoin de quelque chose, viens me voir, je serai toujours disponible pour te recevoir et t’aider !»
Elle aimait profondément toutes les sœurs, elle supportait de graves sacrifices et ne regardait ni aux dépenses ni aux obstacles quand il s’agissait d’aider les sœurs malades ou celles qui traversaient une crise vocationnelle. Plusieurs fois elle est allée voir une sœur ou l’autre vivant des difficultés – ou, ne pouvant pas le faire, elle envoyait l’une ou l’autre de nous – pour l’aider à retrouver la paix et l’encourager à reprendre la route. Parfois elle invitait la sœur à Rome pour échanger avec elle et parler plus librement.
C’était en 1944: une jeune sœur gravement malade était hospitalisée dans un sanatorium du Nord-Est d’Italie. Elle avait une grave forme de tuberculose qui se développait très rapidement. Il n’y avait plus rien à faire. La direction de l’hôpital nous demanda d’aller la chercher pour qu’elle puisse mourir chez nous. Le plus dur, cependant, c’était qu’elle refusait de mourir, elle ne pouvait accepter cette «volonté de Dieu». Maestra Tecla se rendit donc à l’hôpital et demeura longuement à son chevet ; elle lui parla avec ce ton maternel qu’on lui connaissait et cette foi intense qui touchaient les cœurs. La malade en fut transformée, elle ne craignait plus la mort imminente, elle était plutôt prête à mourir le jour même, si c’était ce que Dieu voulait pour elle. Dieu avait récompensé le voyage de Maestra Tecla et elle Le bénissait, car c’était à Lui seul qu’elle attribuait toute réussite.
Une charité héroïque
Parmi les innombrables marques de bonté [que la Prima Maestra a laissées], je veux témoigner d’une expérience personnelle : j’ai longtemps souffert d’asthme bronchique. Les nuits hivernales étaient pour moi un supplice. Ça m’attristait de déranger les sœurs dans le dortoir, j’aurais même préféré coucher dans un sous-sol pour pouvoir tousser librement sans agacer les autres. La Prima Maestra se rendit compte du malaise que je vivais et m’invita à aller coucher dans sa chambre. À mes protestations elle objecta : «Non, non, tu ne me déranges pas. Tu peux tousser sans aucune crainte, tu peux brûler ta poudre…» Cette poudre, qu’un médecin m’avait prescrite, une fois «brûlée», pouvait calmer la toux, oui, mais elle provoquait une fumée dense…En respirant cette fumée la toux se calmait un peu.
Ainsi chaque nuit : je remplissais la chambre de fumée, et je toussais quand même pendant des heures… Et Maestra Tecla me disais : «Pauvre toi ! Fais librement ce dont tu as besoin pour respirer un peu mieux…» Elle a supporté cet inconfort pendant des années, sans jamais montrer le plus petit signe de fatigue. Cela frôle l’héroïsme.
La Prima Maestra a été une vraie mère pour chacune des sœurs, la mère de la Congrégation qu’elle a pris dans ces bras et portée jusqu’au niveau actuel, en la nourrissant de son amour, de son sacrifice, de sa foi. Mère de toutes les sœurs, une mère forte et déterminée, qui savait dire à chacune les vérités qui font du bien et que l’on peut recevoir, car on sait qu’elles viennent d’un cœur aimant, du cœur d’une mère.
La Prima Maestra ha scellé ce grand amour pour ses Filles d’un acte de charité suprême: elle a tellement désiré le bien véritable de ses sœurs, leur sanctification, qu’elle a offert sa propre vie dans ce but. En 1961, en la fête de la Très Sainte Trinité, elle m’adressa ces mots : «J’ai offert ma vie pour que toutes les Filles de Saint-Paul soient saintes.» Jésus n’a-t-il pas dit qu’il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis ?
La Prima Maestra a vécu une charité héroïque !